Fiches de convivialité pour une bibliothèque vivante



La bibliothèque des Laboratoires d’Aubervilliers est une archive vivante de l’histoire du lieu et des projets qui y ont été soutenus au fil des années. Elle constitue également une ressource potentielle, riche et variée, pour les artistes, les chercheurs et les visiteurs, en terme à la fois de matériau qu’il fournit et d’espace commun d’étude et d’échange qu’il promet.

Dans l’esprit de la contanimation - un élément important de notre projet de résidence common infra/ctions - nous souhaiterions proposer un moyen de prolonger l’activation de cet espace et favoriser des relations de convivialité parmi les usagers.

Si on analyse la manière dont les bibliothèques fonctionnent, distribuant des fiches individuelles à ses membres, leur permettant d’emprunter les livres (des volumes qui sont enregistrés dans les fichiers de la bibliothèque par l’indexation de fiches distinctes), les principaux termes d’un tel système semblent être individualisation, séparation et contrôle, s’appliquant aussi bien aux lecteurs qu’aux livres.

À l’inverse, nous aimerions suggérer un autre type de prêt et un système de cartes différent, celui des fiches de convivialité. Empruntant le terme au livre d’Ivan Illich, Tools for Conviviality, et inspirés par une expérience de médiation alternative d’une exposition proposée par Casco (Utrecht) à laquelle nous avons participé, l’idée de ces fiches de convivialité serait de rassembler une communauté de lecteurs ou de chercheurs dans un esprit de co-recherche et de co-production de savoirs (et de non-savoirs), tout en encourageant un échange, non seulement des livres mais aussi des expériences de lecture.

Les fiches de convivialité sont conversationnelles, partielles, expérientielles. Elles aident à dépasser l’artificielle séparation entre, d’une part le prêteur et l’emprunteur, et d’autre part, le lecteur individuel et les livres.

L’idée est que chaque livre de la bibliothèque acquiert une fiche lorsque quelqu’un demande à l’emprunter. En retour, l’emprunteur du livre s’engage à inscrire sur la fiche quelque chose en lien avec son expérience de lecture, qui sera laissé dans le livre et relayé par l’éventuel usager suivant. Afin d’aménager de multiples entrées, tout en restant liés les unes aux autres et compactes, les fiches consisteront en plusieurs pages pliées en accordéon.

Les commentaires ne seront préférablement pas de l’ordre du résumé (objectif) ou d’une critique (subjective) ou encore de l’évaluation. Ils s’appuieront davantage sur le désir de partager des aspects de l’expérience de lecture, les pensées et réflexions qu’elle a engendrées dans, plus largement, le contexte de vie du lecteur ou de la lectrice.

Ainsi les livres de la bibliothèque, au-delà de leurs contenus d’origine, contiendront des traces des vies et pensées des lecteurs ainsi que l’empreinte de la lecture elle-même. Puis, ponctuellement, ces mêmes lecteurs seront invités à se rassembler autour de repas, d’un DJ set, ou une improvisation musicale qui établiront une toile de fond afin de lire tout haut et collectivement les fiches de convivialité et les faire se rencontrer d’autres.

Les entrées stimuleront on l’espère des intérêts convergents vers un livre en particulier et généreront de nouvelles lectures, réponses et commentaires. Les personnes seront invitées à traverser l’expérience de lecture mystérieuse et habituellement solitaire, dorénavant accompagnés des voix d’autres lecteurs et lectures, et devenir eux-mêmes partie intégrante des livres qu’ils empruntent, comme les agents textuels d’une bibliothèque vivante.



Silvia Maglioni et Graeme Thomson, janvier 2016             
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