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En quoi l’improbable permet-il d’aborder les questions de biodiversité dans la ville ? La notion de l’improbable n’a rien de géographique [1]. Les dictionnaires la rattachent au domaine des mathématiques et des calculs de probabilité. Le sens courant y met l’idée de flou, de surprenant, d’étonnant, d’inattendu, de ce qui a peu de chances de se produire. On peut y ajouter des connotations se rattachant à l’indésirable, à l’invivable voire à l’impossible. L’improbable tient également au caractère fondamentalement composite et hybride des questions de nature et de biodiversité qui joue tout à la fois sur le sauvage et le domestique [2], le public et le privé, le local et le mondial, l’indigène et l’exotique, le maîtrisé et le rebelle, la connaissance et l’ignorance. L'interstice est improbable, il/elle se déplace disparaît et réapparaît sans que l’on puisse le/la contrôler.

Le terme écologie urbaine est complexe. Il se définit, en tant que domaine scientifique s'intéressant à la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes et l’écologie, comme une métaphore des interdépendances et confrontations idéologiques et politiques. L’écologie comporte plusieurs niveaux de lecture, il est à la fois contextuel et rhétorique. Comment intégrer une démarche interdisciplinaire qui propose une réflexion plus vaste sur la nature?

La théorie queer est un champ conceptuel aux composantes très diverses, qui – outre les questions de genre, d’identité et de sexualité – questionnent notre compréhension, des différences, et des dimensions extra-humaines de la géographie. Une approche queer des théories sociales et socio-spatiales pourrait enrichir notre compréhension des usages de la flore et la faune en milieux urbain et rural.

Comment penser l’altérité à partir des lieux ? Une approche Queer de l’espace pour l’historien de l’architecture Aaron Betsky [3] constitue un
« espace de différence ». Il ouvre le concept à un champ d’interprétation suffisamment large pour ainsi permettre un réexamen des intersections entre sexualité et espace. Pour Nathalie Oswin [4], une appréhension queer de l’espace porte sur un exemple complexe et interdisciplinaire d’éléments qui dépasse la simple appropriation de l’espace. Cette appréhension queer pose la question des espaces de nature sauvage non réglementés qui ouvrent eux-même aux usages queer.

La gestion de la sexualité dans l’espace public rejoint en fait des problématiques d’inégalités sociales et d’oppression culturelle. Pour beaucoup de personnes gays ou bisexuelles, la sexualité constitue en effet une échappatoire aux normes sociales. Cela concerne en particulier celles et ceux qui, du fait de leur âge, de leur apparence, de leur appartenance ethnique ou de leur pauvreté sont exclu.e.s des espaces de divertissement commerciaux.

L’intersection entre théorie queer et écologie urbaine remet également en question les classifications conventionnelles appliquées aux espaces naturels urbains. Elle propose une vision élargie de la sexualité en relation avec la nature qu’elle soit humaine ou non humaine. La théorie queer est pertinente pour étudier la complexité, l’indétermination et plus généralement pour élaborer de nouveaux modèles scientifiques en termes d’écologie urbaine.

A ces deux concepts, peut venir se greffer la notion d’intersectionnalité, portée par la juriste Kimberlé W. Crenshaw dans les années 1980 et constituant l’un des premiers outils théoriques à même de répondre à une potentielle convergence des luttes. Constatant la nécessité de mettre son identité de femme, noire, de classe moyenne sur un même plan pour peser le poids des dominations, la théoricienne va permettre une avancée majeure dans la manière d’appréhender le militantisme à l’ère post-moderne. Il s’agit dorénavant d’adopter une logique de simultanéité des oppressions (race, genre, classe) et une dynamique d’analyse multimodale pour renverser les phénomènes de subordination. De fait, l’utilisation d’une telle grille d’analyse trouve pleinement son sens car elle permet l’articulation des différentes notions convoquées ici.

 

Qu'est-ce qu'Intersexion ?

L’improbable, au sens courant, évoque l’idée de flou, de surprenant, d’étonnant, d’inattendu, de ce qui a peu de chances de se produire. C’est en partant de l’improbable et de l’incontrôlable que nous avons imaginé cette intersection entre l'écologie en milieu urbain et la théorie queer.

L’écologie urbaine contemporaine est une discipline riche et complexe dans laquelle les ressources environnementales associent les espaces construits et naturels, les organisations urbaines et les activités humaines. Mais c’est aussi une injonction pour l’action politique et aménagiste sommée de naturaliser la ville pour le bien-être de ses habitants, tiraillée entre une domestication porteuse d’un ordre urbain, hygiéniste, et l’acceptation d’espaces naturels non maîtrisés, lieux essentiels de la biodiversité urbaine.

La théorie queer s'intéresse à l’indétermination de la sexualité et du genre par rapport au sexe biologique. Elle propose une lecture personnelle de son corps et des relations qu’il entretient avec son environnement.

En rapprochant ces deux concepts, nous nous plaçons dans une démarche intersectionnelle, afin d'appréhender la complexité des identités et des inégalités sociales en proposant une approche située. L’intersectionnalité décrit le croisement de plusieurs axes de discrimination : sexe/genre, classe, race, ethnicité, âge, handicap et orientation sexuelle.

Le podcast Intersexion proposera donc de mettre en relation théorie queer et écologie urbaine via des invitations adressées à des personnes dont le parcours et les recherches permettront d’élargir les démarches scientifiques environnementales. En confrontant des univers sociaux et scientifiques a priori éloignés, Intersexion pose le trouble et le tâtonnement comme méthode afin de repenser la complexité des rapports entre sexualités, espace et écosystèmes.


Comment ça marche ?

Pour agiter ces questions, adopter une démarche académique ne suffit pas. Mettre en récit, mettre en dialogue, faire converger les points de vue trouve son sens dans la mise en oeuvre d'une approche intersectionnelle. Le but de l’émission Intersexion sera donc de mettre en miroir des discours, des parcours de vie, des profils afin de faire émerger des strates, des connexions, des zones de tension à exploiter.

L'intérêt de telles confrontations réside dans l’hétérogénéité des profils invités. Le podcast donnera lieu à des rencontres, mettra en lumière des témoignages uniques d’acteurs et d’actrices des sphères culturelles et militantes, des personnalités questionnant les espaces et les zones de lutte à travers le prisme de la pensée intersectionnelle.

Parallèlement aux émissions, des tables rondes et autres discussions pourront être organisées, permettant de s’ouvrir aux échanges directs avec un public extérieur. Plus qu’un format radiophonique classique, Intersexion a pour ambition d'osciller entre rigueur scientifique et militantisme.

 

 

 

 

 

 

ARF

1/- Arnould E.J, Thompson CJ, « Consumer Culture Theory », in Twenty Years of Research, 2005

2/- Bernadette Lizet et Georges Ravis-Giordani, Des bêtes et des hommes. Le rapport à l’animal : un jeu sur la distance, Actes du 118e congrès, Pau, 1993

3/- Aaron Betsky, Queer Space : Architecture and Same-Sex Desire, Published by William Morrow, 1997

4/- Natalie Oswin, Critical geographies and the uses of sexuality: deconstructing queer space, 2008