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Depuis 2001, le travail chorégraphique de Vincent Dupont met à l’épreuve le mouvement et la présence du corps par différentes combinaisons de matières visuelles et sonores, chaque intervenant à la création se positionnant comme interprète au ser vice du projet. Devant l’aspect composite et collaboratif de ce travail, il semblait donc intéressant de solliciter les participants de Incantus pour qu’ils s’expriment de l’intérieur de leur fonction. Aborder la création à l’inverse d’un discours critique: ne pas parler «sur» mais «depuis».

Vincent Dupont (conception Du projet chorégraphique) Octobre 2007

Journal Des Laboratoires
Quels sont les axes de recherche de Jachères improvisations (1) et Hauts cris (miniature) (2) que tu poursuis avec Incantus? Quels sont ceux que tu laisses de côté? Pourquoi as-tu fait ces choix?

Vincent Dupont
Avec Incantus, je poursuis mes recherches sur le rapport du son avec le corps et j’ai aussi envie que le projet approfondisse un rapport entre le corps et la lumière: voir comment des connexions peuvent se produire de façon plus précise que je n’aie pu le tenter jusqu’à présent. Cette connexion du mouvement et de la lumière doit permettre, à certains moments pour le danseur, de choisir l’instant où il entre dans la lumière comme celui où il décide d’en sortir, et d’investir cet espace entre les deux en jouant sur une variation d’intensité. J’ai également l’impression de poursuivre les tentatives engagées dans Jachères improvisations et dans Hauts Cris en recherchant une connexion physique, une sorte de matérialité de la lumière. Dans Hauts Cris, la lumière était présente mais de façon moins déterminée, moins volontaire. Avec Yves Godin, nous avons déjà commencé à nous attaquer à cette question avec toutes les difficultés que cela représente: la lumière avec le système de capteurs et d’ordinateurs devient un outil extrêmement séduisant et très vaste, c’est donc assez difficile de pouvoir faire des choix rapidement et de se concentrer sur des effets qui produisent du sens et n’interviennent pas dans la création comme des gadgets.
Je ne pense pas en revanche avoir abandonné des axes de recherche développés dans mes précédents travaux, j’ai plutôt l’impression d’être dans la continuité. La façon de penser le décor a peut-être évolué: dans Incantus, j’essaie de placer le corps dans un espace plus vaste où la définition de décor est réduite au minimum. Je ne parlerais pas d’une disparition du décor mais d’une réduction car on ne peut jamais totalement le faire disparaître, il y a toujours un espace du plateau. Je ne me débarrasse donc pas du décor, je suis juste dans un autre rapport d’espace.

JDL 
Le traitement du décor dans Incantus n’est-il pas toutefois nettement plus abstrait que dans Jachères improvisations ou Hauts Cris (miniature) où l’espace de représentation était cadré dans un décor figuratif?

VD
Je pensais effectivement me détacher du décor mais je suis revenu à une évidence: sur Incantus, j’ai besoin de deux espaces distincts, l’espace de profération, du son, de l’incantation, ce que j’imagine être «le proscenium», et l’espace du plateau. J’ai donc, au fur et à mesure de l’avancement du travail, dû définir ces espaces, d’abord en descendant une frise assez bas, puis en ajoutant des pendrillons à l’italienne sur les côtés pour que les danseurs puissent intégrer l’espace en «bord cadre».

JDL 
Quelle place occupent les nouvelles technologies dans ton écriture chorégraphique?

VD
Je ne veux pas m’empêcher d’utiliser des outils de pointe mais j’essaie toujours de les réduire au plus simple. Il est difficile de considérer les nouvelles technologies comme un objet au même titre que le reste, leur simplification en est peut-être même leur force.
Pour chaque création, j’essaie de rêver un spectacle, de matérialiser, avec des corps dans un espace, grâce à certains traitements de la lumière et du son, une sensation qui n’est ni la réalité, ni tout à fait un rêve. Le moment d’une semi- conscience. J’essaie de restituer une permanence à ces images, de recouvrer cette force, cette énergie. Je tente, en partant du corps et en le décalant légèrement, de trouver un «filtre» qui permettrait de mettre en évidence un rapport au mouvement qui soit lié à mon émotion. Ce procédé m’a amené sur Incantus à me poser énormément de questions sur la vitesse du mouvement, et plus précisément sur les variations de vitesses lentes, de décélération et d’accélération du corps.
J’avais par ailleurs envie de mettre en évidence la fragilité de la présence sur scène. Je me suis dit également que l’exploitation du son, de la musique, pourrait aider les interprètes à trouver la force nécessaire pour se présenter sur le plateau, qu’une incantation leur permettrait d’avoir une charge suffisante pour être vraiment présents.

JDL 
Lors d’une discussion avec Claudia Triozzi, publiée dans un précédent numéro du Journal des Laboratoires (3), tu expliques la difficulté de travailler le son et l’image simultanément et de les faire coexister sans une prédominance de l’un sur l’autre. Dans Incantus comment procèdes-tu pour maintenir un équilibre entre les différents éléments?

VD
C’est la raison pour laquelle nous sommes obligés de tout jouer en live, y compris le son et la lumière. Nous pourrions tenter de diffuser des enregistrements et d’écrire une conduite lumière précise mais nous savons que ça ne fonctionnera pas aussi bien. Nous pouvons en revanche choisir préalablement des «matières» mais il est nécessaire qu’à partir de ces choix pré-établis nous puissions continuer à improviser pour rester dans l’énergie du direct.
Il faut que tous les interprètes sur scène, à la lumière, au son, soient sur la même focale, que le travail de chacun converge. Je l’ai vérifié sur Jachères improvisations, et plus personnellement sur Hauts Cris: l’interprétation en direct du son et de la lumière demande plus de travail, mais quand l’ensemble fonctionne, le résultat est nettement plus puissant et donc vivant. Ce fonctionnement demande à tous, pour les répétitions comme pour les représentations, d’être absolument présents et concentrés. Nous sommes obligés de faire des séances de travail brèves parce qu’il n’est pas possible de rassembler une telle énergie par tout le monde au même moment pendant trop longtemps. En revanche, nous parlons énormément du projet, de ce qui est en jeu dans les improvisations et de ce que je pressens.

JDL 
Le travail que tu développes sur la voix vient-il de ta formation d’acteur?

VD
Certainement, cependant je me suis écarté de mon métier de comédien car j’étais de plus en plus en décalage avec certaines façons d’aborder la parole sur scène. Ma rencontre avec la danse a été un choc essentiel qui m’a plus encore détaché du mot comme enjeu principal de l’acte scénique pour m’emmener vers un travail plus proche de la musique et du son que de la narration et du dialogue, et surtout plus proche des corps. J’ai commencé à travailler ma voix avec un transformateur sur lequel est stocké une cinquantaine d’effets que je peux faire varier en direct. Je m’amuse à transformer ma voix pour l’écouter à travers différents espaces, filtres, distances ou déformations. Puis j’ai rencontré le texte de Christophe Tarkos intitulé Donne. Cette écriture essentiellement sonore, jamais narrative, mais qui parvient malgré tout à suivre un fil, m’a encouragé à continuer dans ce sens.

Valérie joly, (travail de la voix), Octobre 2007

Incantus sonne dans son titre comme une incantation. Une incantation, c’est indissociable du mot «chant». C’est là que mon oreille se pose au creux de la salle. Essayer de faire naître quelque chose de l’acte de représentation, une sorte de rituel, moderne, mêlé aux voix anciennes qui le traversent. Pour faire jaillir les voix premières, celles des origines, qui sourdent de la terre pour se relier aux énergies d’un autre espace, plus large.
Se référant à un temps où corps et voix étaient liés, et où l’acteur tel un passeur ouvrait une cérémonie offerte et partagée par tous. Une mort et une renaissance, le renouveau et l’extinction des souffles, tomber et se relever, trouver les objets du «sacrifice», les chanter, invoquer les puissances, et laisser s’élever les sons surgis des corps, du murmure à la harangue, afin de résonner plus profond lors de cette cérémonie des temps d’aujourd’hui.
Un discours où nous pouvons nous reconnaître. Là où leurs bouches sont sans cesse au bord d’être sans voix, les voix continuent de s’élever pour renaître de leurs cendres.

Yves Godin, (conception et Dispositif lumière), Mai 2007 et Novembre 2007

Les trois premiers projets développés par Vincent Dupont ont cherché à mettre en jeu un mode de relation de type «en réseau» entre le corps, le son, la lumière, l’image et l’espace physique au service d’une dramaturgie essentiellement poétique et polysémique.
Nous tentons de continuer et d’élargir la relation entre le corps, sa présence et les différents médiums construisant l’espace et le temps par le biais de technologies innovantes.
Aujourd’hui, après avoir expérimenté au service de cette poétique de la scène de multiples dispositifs, logiciels, outils de diffusion traitant l’image et le son, nous sentons le besoin de procéder, dans une dynamique similaire, à l’intégration de la lumière; médium fondamental du théâtre traité jusqu’à présent avec l’aide de matériel classique et la sensibilité et l’écoute d’un opérateur agissant comme instrumentiste.
Depuis quelques années se développe un nouveau type de matériel : électroluminescence, cristaux liquides, fibre optique, leds, proposant des qualités de lumière spécifiques et des possibilités architecturales novatrices (faible poids et encombrement, peu d’émission de chaleur, faible consommation) inconnues jusqu’ici.
Par ailleurs, pour piloter et contrôler l’environnement lumineux, nous aimerions développer une recherche véritable d’adaptation ou de transfert de logiciels (Isadora 1.1) et d’interfaces, inspirée de ceux communément utilisés pour le son et l’image. Nous voudrions axer cette recherche sur l’utilisation de capteurs de mouvements, d’analyse de l’espace, de chaleur, d’interfaces midi, de logiciels de traitement en temps réel.
Plus concrètement, un axe de travail nous intéressent particulièrement: donner aux danseurs sur scène la possibilité d’agir sur la dramaturgie de la lumière (spatialisation-intensité-musicalité) en corrélation à son engagement physique (mouvement-voix-chaleur) par l’utilisation de capteurs de mouvement, de pression, d’accélération, de chaleur sur son propre corps ou dans l’espace, paramétrés et interfacés à la commande lumière, afin que la scène puisse être perçue tantôt comme un environnement physique propre ou comme une extension du corps.
La lumière jusqu’à présent a très peu été convoquée de cette façon.
Ce qui nous intéresse, au-delà de la recherche technologique, c’est de faire le pari de creuser un peu plus avant la complexité du vivant en scène.

Note rédigée au printemps 2007


De : Maud Desseignes
à : Yves Godin
Envoyé : 9 novembre 2007

Bonjour Yves,
En relisant le texte écrit que tu as écrit ce printemps pour le dossier Incantus, je me demandais où en était finalement arrivé le travail aujourd’hui? Plusieurs formulations sont au conditionnel: avez-vous atteint vos objectifs, élargi, restreint ou dépassé le champ des recherches énoncées?

De: Yves Godin
à: Maud Desseignes
Envoyé: 13 novembre 2007

Il y a donc un texte écrit il y a 6 mois, avant que le projet ne commence ou plutôt lorsque nous tentions d’éclaicir des pistes de travail possibles. Que garder de celui-ci et que dire aujourd’hui? Le regard rétrospectif tient tou jours évidemment (si ce n’est remplacer le «par Vincent Dupont» par «avec...» – le «avec» est au cœur de la relation en réseau, au cœur de mon travail: faire des lumières avec la danse et non pas pour la danse ou la musique). Les intentions prospectives aussi j’espère, je ne baisse pas les bras: toujours creuser un peu plus avant la complexité du vivant en scène.
Les pistes de travail, pour des raisons diverses, se sont simplifiées. Nous ne travaillons plus qu’avec des capteurs sur le corps, et cela en alternance ou en même temps qu’un travail «conventionnel».
Au centre de ce travail demeurent des ques- tions récurrentes et encore ouvertes: la technologie convoquée ne génère-t-elle pas un retour en arrière – relativement au mode de relations que nous avions su activer, sur Jachères improvisations et Hauts cris, entre la lumière, le son, le corps, la dynamique performative d’une manière générale – en recréant des formes d’assujetisse- ment auxquelles nous avions toujours cherché à échapper (retour à un mode d’action/réaction, corps/lumière, temporalité du travail inorganique, retour à un terrorisme de la technique)? Ce désir de soi-disant «nouvelles technologies» ne nous confronte-t-il pas à une forme d’archaïsme, non pas celui au cœur du projet relatif à l’acte théâtral, mais plutôt celui de l’objet encore trop pauvre, pas assez questionné, pas assez autonome, immature?
Tu l’auras compris un certain septicisme plane. Je n’ai jamais été dans la fascination de la technique ni dans le fantasme d’une modernité où la notion de progrès serait basiquement dépendante de la technologie. Alors qu’est-ce qui nous pousse à continuer? Quelles sont les questions qui peut-être ouvrent de nouveaux champs et qui vaillent la peine de tenter un défrichage?
Probablement, même si cela est encore un peu flou dans mon esprit, même si ce que je perçois au cours des répétitions est diffus, s’agirait-il d’éclaircir, de clarifier, d’objectiver, les possibilités d’extensions du corps et de l’imaginaire dans l’espace physique par le biais de la lumière – le travail du son, la musique sont probablement beaucoup plus avancés sur ces questions. Être la scène, agir ou être agi par elle, et à ce moment, peut-être, sommes-nous à nouveau au cœur d’Incantus: «une concentration d’énergie, vocale, sonore, gestuelle, lumineuse» qui chercherait à interroger la nécessité, autant que notre capacité, face à la scène aujourd’hui.
Deux grand axes semblent se dessiner pour moi, axes qui pourraient véritablement ouvrir des perspectives d’approfondissement. Le premier concerne spécifiquement la lumière, sa qualité, sa temporalité. Confiée au corps par le biais de capteurs de mouvements, il se produit une activation très spécifique qui ne ressemble pas à ce que les outils classiques permettent, quelque chose entre l’organique et le chaotique, entre le contrôle et l’accident, entre le fluide et le rugueux. La temporalité perçue n’est plus seulement celle de la lumière mais aussi celle du couple lumière/danseur, idem pour sa qualité, déplaçant la présence du performeur.
Ce couple que je forme habituellement avec elle m’amène au deuxième axe où il s’agit aussi de déplacement: déplacement de responsabilité, délégation, perte du contrôle (partiel), en d’autres termes et de manière plus générale, la question du pouvoir.
Et là, encore une fois, nous touchons au cœur d’Incantus: redonner à la scène et à ceux qui la vivent sa force de rituel.

Armando Menicacci, (interaction en temps réel), novembre 2007

JDL
Quel rôle as-tu joué sur la mise en place du (des) dispositif(s) technologique(s)?

Armando Menicacci
Quand j’ai rencontré Vincent Dupont, il m’a parlé de son désir, pour cette pièce, de travailler sur l’effort de plus en plus grand qu’il faut faire pour créer une pièce. Qu’il s’agit d’une sorte de lutte contre les éléments de plus en plus résistants. En même temps il parlait de la force de la création et des capacités des performeurs à travailler poétiquement la création d’un autre espace. (C’est peut-être d’ailleurs pour cela que la création est en difficulté car elle évoque et presque crée d’emblée un espace critique du réel; c’est peut être pour cela qu’on lui met des bâtons dans les roues). Vincent parlait aussi de transformation de l’espace par le geste des performeurs. J’ai donc préparé une série de dispositifs interactifs tels que ceux je manipule habituellement dans mes créations ou dans les cours que je donne au Département Danse de l’Université Paris 8 afin d’amplifier l’écho des gestes et le traduire en temps réel en lumière. Concrètement, dans Incantus, j’ai surtout tenté de donner à Manuel, Olivia, Vincent et Werner des possibilités d’expansion de leur présence par la transformation de leurs gestes en modulations de l’espace par la lumière.

JDL
Comment le travail s’est-il échangé avec Yves Godin?

AM
Ce que j’ai compris des désirs de Yves et de Vincent c’est qu’ils voulaient que les figures sur le plateau agissent directement sur l’espace par le geste. Yves a ainsi construit un dessin de lumières – comme il l’a fait à chaque création que j’ai pu voir de lui – qui ne permet pas simplement de voir le travail, mais il crée un propos/lumière qui raconte, dans sa construction même, le projet ; presque une pièce dans la pièce. Ainsi, il a créé des lumières qui opèrent des modulations de l’espace et du temps. Je ne fais que l’aider à mettre ces modulations en mouvement par le biais de dispositifs interactifs avec un peu de matériel et un peu de programmation informatique sous Max/MSP. Ce que j’ai essayé d’apporter, à part la matérialisation de traitements qu’il est très difficile, voire impossible, de faire autrement qu’avec ces dispositifs, c’est qu’en les connaissant j’ai tenté de choisir les bons capteurs pour chaque série de gestes des performeurs en les calibrant de manière chorégraphique. Là, nous sommes bien au-delà de la technique. Poser un capteur, le calibrer pour créer autour d’un geste construit un état particulier chez le performeur. Affecter ce geste à un traitement lumineux crée aussi un état de scène particulier et donc doit être le fruit d’un regard dramaturgique mis au service de la création d’un espace poétique.

JDL 
De quelle(s) façon(s) les dispositifs mis en place interagissent-ils avec les danseurs?

AM 
Le dispositif est très simple et s’articule autour de trois axes: l’engagement du performeur en scène, la dynamique de la lumière et leur relation dialogique. Sur les performeurs en scène, nous avons placé des capteurs construits par la société parisienne Interfacez qui mettent en communication directe – en temps réel – ses gestes avec un ordinateur. La programmation informatique nous a permis de calibrer les capteurs, construits par la société française InterfaceZ. L’ordinateur via le logiciel Max/MSP que j’ai programmé à cet effet, communique avec une Lanbox qui transforme les données informatiques des capteurs en signaux DMX (le langage des lumières au théâtre). La Lanbox est directement reliée aux gradateurs qui sont eux-mêmes liés aux projecteurs de lumière.

JDL 
Quelles conséquences ont-ils également sur la perception des spectateurs?

AM
Il faudrait plutôt leur poser la question, mais pour moi poser un capteur est une question purement chorégraphique et dramaturgique. En effet, on aurait pu feindre de l’interaction entre le geste et la lumière, après tout on est au théâtre et comme dans tout lieu hétérotopique la fiction y est souveraine: l’important est d’évoquer ce qu’on veut évoquer. Avec ces dispositifs, on peut transformer le geste en son, lumières, images, etc. Or, ceci donne la possibilité aux performeurs d’avoir d’autres référents que la proprioception pour inscrire des gestes. Avoir la possibilité de choisir plusieurs manières de se mettre en relation avec les mécanismes de perception qui régissent le déploiement du geste est un moyen très puissant pour se mouvoir autrement qu’avec les référents habituels. À certains moments, nous nous sommes servis de ces dispositifs pour écrire des parties de la pièce. Nous espérons que les spectateurs percevront l’apparition d’états de scène singuliers.

Corine Petitpierre, (création des costumes) Novembre 2007

Comment parler de la sculpture au travers et autour du corps en partant d’un vêtement trés identifiable: le costume d’homme? Ici les vestes et pantalons sont construits dans des matériaux qui révèlent l’amplification des plis, les volumes traités par plans. Les mouvement sculptent le vêtement.
On fixe des postures, on se sent se figer, s’épaissir, la silhouette devient une ébauche.

Thierry Balasse, (réalisation sonore) Novembre 2007

La sensation de convoquer des fantômes
«Le son, c’est l’âme secrète des choses, se communiquant sans se livrer et pénétrant dans notre conscience sans en subir la loi». Cette phrase me suit depuis quelques années dans mon travail. C’est Jean Jaurès qui nous propose cette approche du sonore, le député que nos politiciens s’arrachent, en oubliant sans doute de simplement le lire...
Laisser venir l’âme secrète des choses... Utiliser les systèmes informatiques, les mémoires, les systèmes de cadrage, mais accepter la perte de contrôle, profiter de cette présence originelle de la voix déréalisée de Vincent, des platines de Raphaëlle dont le travail renoue avec l’implication concrète (sans abstraction préalable, sans idée préconçue) des musiques électroacoustique de Pierre Schaeffer et Pierre Henry... Les machines sont utilisées ainsi non seulement dans ce qu’elles imposent, mais surtout dans ce qu’elles proposent... Et pour une fois, accepter de ne pas tout contrôler... Accepter que les éléments mis en place par les trois musiciens laissent apparaître des espaces sonores parallèles, comme dans les mondes imaginés par Philip K. Dick... Et même, «refuser» ce trio musical pour continuer le travail initié avec Jachères et prolongé avec Hauts Cris (miniature) de relation avec la lumière et le mouvement, en y incluant finalement les âmes – danseurs qui nous livrent un feed-back, un larsen de nos incantations et les modifient encore.
Les fantômes ne seront pas que visuels, ils apparaîtront parfois également dans nos sons, sans que nous puissions dire d’où ils viennent, qui les a fait naître...
Et revenir à mes propres sources par les percussions, qui portent l’incantation vers la transe.

Raphaëlle Latini (platines) Novembre 2007

JDL 

Quels déplacements ou prolongements ta collaboration à Incantus opère-t-elle par rapport à ta pratique de DJ?
Dans les intentions formulées à l’amorce du projet, Vincent disait vouloir «travailler à une matière incantatoire qui appelle les danseurs à affirmer leurs présences et libérer le mouvement». Comment la création sonore a-t-elle ainsi pris forme entre Vincent, Thierry Balasse et toi? De la même façon, comment le travail s’est-il échangé avec les danseurs?

Raphaëlle Latini
Je pense que l’on peut définitivement rayer le mot DJ car il s’agit ici d’aborder les platines autrement, les utiliser comme de véritables instruments, et non pas comme une simple machine à lire les disques comme j’avais tendance à les percevoir. Il fallait recréer une matière pour glisser ailleurs. Capter une séquence, utiliser les platines en solo ou en couple avec des vinyles ou autres surfaces, s’accrocher à la matière, au sillon, en extraire un son, générer une boucle, la travailler puis la libérer. Cette proposition étant un des ingrédients de la matière incantatoire, la voix de Vincent, le travail de Thierry et les lumières d’Yves complètent cette formule révélatrice qui tisse un circuit palpable avec les danseurs, une véritable collaboration.

Olivia Grandville, Werner Hirsch & Manuel Vallade (Danse) Novembre 2007

Question:
Comment le travail s’organise pour vous sur la base du trio?

Réponse
En guise de réponse à cette question, nous avons choisi de répondre aux trois questions suivantes en faisant une partie de cadavre exquis:
- 3 feuilles de papier
- 1 question par feuille
- 3 stylos
- quelques mots laissés à vue pour le suivant...

Q
Dans les projets de Vincent, tous les participants à la création agissent comme interprètes au service de la création. Comment s’engage le travail pour vous avec chaque membre de l’équipe?

R
La notion d’interprétation serait peut-être ici à prendre au sens large, dans le sens où le point de départ de Vincent est de l’ordre de «la vision». Il me faut alors convoquer mes propres visions, et être (comme souvent) au plus proche de mon ressenti pour pouvoir être en même temps complètement avec l’ensemble des propositions de chacun pour ensuite faire des choix. Ce qui est agréable, c’est que nous ne sommes pas un groupe uniforme où chacun proviendrait du même horizon. Il y a des spécialisations. Quelque chose de très riche à questionner dans ce qui nous différencie et nous inspire, ce que nous réussissons à conjuguer à partir de focus éloignés, divergents même. Donc vivre ensemble, se supporter, s’écouter et essayer de garder confiance. C’est très reposant car je me retrouve «au service de» quelqu’un (pour un laps de temps, le temps du projet), quelqu’un qui sait ce qu’il veut, qui suit une intuition et une méthode de travail simple et empirique fiable*. Je joue à être un récipient, qui est à la fois un trampoline – convexe et concave à la fois, un récipient-trampoline. Mais cette période, cette tranche de vie, ce contrat, s’inscrit dans d’autres situations de vie et de travail, d’autres contrats que je pratique dans lesquels je joue d’autres rôles, et cela reste très important pour moi: la permutabilité des rôles.

Q
Cette pièce questionne notamment la notion de présence sur scène, et plus précisément la fragilité de cette présence, la tension palpable des corps, leurs vibrations, etc. Qu’est-ce que ce travail sur le corps vous a apporté comme nouvelles possibilités, ouvertures, au contraire, comme limites par rapport à vos propres recherches?

R
La gageure, pour moi consiste à, d’une part, imiter ou plutôt se laisser contaminer par la façon de bouger de Vincent Dupont et d’autre part, de nourrir cette imitation impossible, forcément ratée, de mes propres choix, goûts et propositions. C’est donc à l’endroit du frottement entre ces deux tentatives que je fais des découvertes. Ces découvertes se sont faites petit à petit par soustraction. Il a fallu très vite écarter certains registres de mouvements inappropriés. Le travail consiste maintenant à éprouver, mettre à l’épreuve cet endroit de restriction, pour peut-être le transgresser à nouveau. Mais moi qui ne recherche rien en particulier si ce n’est, sur chaque projet, faire mien le thème imposé pour le nourrir, le défendre à un endroit vital, sur le plateau, les limites ou le cadre imposé par Vincent sont justement le vivier de nouvelles possibilités. J’apprends par les retours que me donnent Vincent et Myriam Lebreton, deux lexiques, deux langages différents qui parlent du mouve- ment et de la présence. De la présence dans le mouvement, du mouvement dans la présence: rien de neuf sous le soleil.

Q
De quelles façons les technologies du son et et de la lumière interfèrent sur votre jeu et votre présence sur scène?

R
Les nouvelles technologies interfèrent sur le jeu dans la mesure où elles proposent des espaces, mais je dirais que dans le cadre de ce projet-ci, elles représentent à mes yeux des outils et non un sujet en soi. Je serais donc plutôt réticent à en faire un plat. Effectivement le sujet n’est pas là. Ou nous n’avons pas encore eu le temps d’aller assez loin dans ce travail. Le Théâtre qui est convoqué ici a pour moi quelque chose de très archaïque, ce qui pourrait être amusant serait de s’apercevoir que l’utilisation de ces outils nous ramène à des procédés au fond très anciens, des fondements du théâtre.... Et puis voilà! Vous me suivez? Très bien. Oui, quand ça marche, la technologie peut être assez bien, effectivement. Mais je ne voudrais pas la glorifier pour autant. S’agit-il de mettre en relations des humains, ou de mettre en relation des humains et des machines?
Pour moi il s’agit plutôt de glorifier l’espace en tant que matière vivante qui nous relie. Il n’y a pas de présence objective, tout est fonction du contexte, de la chaleur, la sonorité, la consistance de l’espace qui nous entoure.

 


 


 

 

 

 

ARF

 

1- Jachères improvisations (2001) travaille sur les notions de rapprochement et d’éloignement, de présence et d’absence: deux interprètes, esquissant des mouvements à peine perceptibles, évoluent du fond de la scène dans un décor d’appartement jusqu’à une extrême proximité avec le public; une double transmission sonore dans la salle et via des casques audio diffuse les improvisations vocales de Vincent Dupont et les sons électroniques de Thierry Balasse.

2- Hauts Cris (miniature) (2006), s’articule autour d’un travail sonore principalement généré par la captation des mouvements du danseur (Vincent Dupont) et du cri qui accompagne son lent déplacement dans un espace exigu qu’il finira par faire voler en éclat.

3- Journal des Laboratoires, mai 2007. Disponible sur www. leslaboratoires.org

*La méthode de travail est basée sur des improvisations que nous filmons. L’écriture de Vincent s’élabore à partir de ce qu’il ressent de celles-ci, sur le moment ou après coup, mais aussi en écoutant les retours de chacun des membres du projet.